Le 21/10/11, 7:04
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Ce matin, je me suis levée de bonne heure pour assister à un séminaire sur le thème « inclusion et développement » organisé dans le cadre de la journée mondiale du refus de la misère. La première conférence est censée commencer à 7h45. Les organisateurs de l’évènement arrivent sur place à 8h15. Hora peruana... J’assiste donc à tous les préparatifs. A première vue, il me semble y avoir ici moins de professionnalisme qu’au sein de Huaman Poma, moins de moyens aussi. L’un explique peut-être l’autre...
Mais peu à peu, je me laisse convaincre par les ONG présentes. ATD Cuarto Mundo, l’un des principaux instigateurs du séminaire, cherche à mettre les plus nécessiteux au cœur du combat contre la misère. Si cette démarche semble des plus logiques, elle n’est pas nécessairement des plus habituelles. Ainsi, l’association invite « un pauvre » à la table des orateurs. Personnellement, c’est la première fois que je vois cela.
Les deux premières conférences se déroulent de la même façon. Un invité issu des classes les plus défavorisées de la région expose ses conditions de vie. Les trois membres d’un panel d’experts sont ensuite amenés à réagir à ce témoignage avant de répondre aux questions du public. La première intervention est faite par un porteur qui exerce son métier dans un des nombreux marchés de la ville. Il décrit à quel point lui et ses collègues sont dénigrés par leurs employeurs et les clients du marché qui n’hésitent pas à les insulter ou les qualifier de bêtes de somme. De plus, ces travailleurs sont totalement invisibles aux yeux des autorités qui ne font rien pour que les lois qui veillent à leur sécurité ou à une juste rétribution de leur labeur soient respectées. Les membres du panel sont justement des représentants des autorités municipales ou régionales. Mais leur réaction est plutôt langue de bois...
Le deuxième exposé est fait par le représentant d’une communauté paysanne. Il explique qu’en tant qu’indigène parlant principalement le Quechua, il subit de nombreuses discriminations en matière d’accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi. Il rapporte à quel point l’enseignement dans les écoles rurales, où les enseignants hésitent rarement à frapper les enfants, peut laisser à désirer. Il commente également que dans les hôpitaux, puisqu’elles ne peuvent expliquer leurs maux qu’en Quechua, les populations indigènes sont souvent mal reçues lorsque qu’on ne refuse pas tout simplement de les examiner.
Le séminaire se clôture par une conférence du sociologue Hector Bejar qui tente de donner une définition de l’exclusion, de déterminer qui sont les exclus dans la société péruvienne et d’imaginer comment serait le Pérou sans exclusion.
Ma journée se poursuit par un rendez-vous avec les représentantes d’une école d’espagnol que j’ai récemment contactées. Une fois de plus, je me rends compte que le milieu des écoles d’espagnol est sans pitié. Mes interlocutrices m’expliquent qu’elles viennent tout juste de se lancer sur le marché après avoir été licenciées de façon injuste par une autre école très connue ici à Cusco. Evidemment, elles critiquent leur précédent employeur, surtout au niveau de sa politique envers les volontaires. Lorsque j’avais rencontré leur ancien patron (un Belge qui plus est), il m’avait pourtant fait bonne impression. Difficile de savoir dans cette histoire qui sont réellement les victimes et les coupables. Je sais que l’instinct dans ce genre de situation est loin d’être mon fort. Mais j’ai envie de donner une chance à ces trois mères célibataires. De toute façon, l’autre école n’a pas vraiment besoin de nous...
Après ma réunion, je file au centre-ville. Comme chaque vendredi, j’ai proposé aux Couch Surfers qui le souhaitent de m’accompagner au ciné-club. Et pour une fois, j’ai eu du succès. Nous sommes six à aller voir le film allemand « delisiciosa Martha ». Cette comédie romantique est assez sympathique. Mais pour la plupart de mes compagnons, l’histoire est connue car un remake a été fait avec Catherine Zeta-Jones. Oups...
Après le film, nous décidons d’aller grignoter un truc dans un salon de thé. La conversation va bon train. C'est pour moi encore l'occasion de me rendre compte à quel point il est facile de tomber dans le cliché lorsque l’on n’est pas natif d’un pays. Je discute avec Yuri qui est agronome de formation et lui annonce très fièrement que nous avons découvert parmi nos bénéficiaires un producteur de pommes-de-terres natives. Très gentiment, il me répond que c’est le cas de la plupart des paysans andins. Je suis quelque peu désarçonnée par cette déclaration qui va à l’encontre de tout ce que j’ai entendu depuis mon arrivée. Mais en approfondissant le sujet avec Yuri, je me rends compte qu’à ce niveau, les communautés avec lesquelles je travaille sont l’exception à la règle générale qui veut que les paysans, visant en premier lieu l’autosuffisance alimentaire, continuent à cultiver diverses variétés de pommes-de-terres. Les communautés bénéficiaires de notre projet, elles, se situent dans la zone où l’on produit les pommes-de-terres pour l’exportation. Cela explique pourquoi elles cultivent presque exclusivement des pommes-de-terres améliorées. Comme quoi, je prenais pour une réalité péruvienne, le cas spécifique des rares communautés que je fréquente.
A part sur ce point, le pauvre Yuri n’a guère voix au chapitre ce soir. Nous sommes cinq filles pour un seul garçon. Et au niveau des conversations, on a presque l’impression de se trouver dans un épisode de « Sex and the City ». On n’arrête pas de parler de mecs et de faire des comparaisons entre les Péruviens et les Européens. Pas étonnant que Yuri n’aie pas l’air trop à l’aise. Je crois qu’il atteint le point culminant de l’embarras lorsque Jackie nous fait part d’un tuyau que seules quelques rares privilégiées cusquéniennes doivent connaître. Elle connait le meilleur endroit où se rendre les jours où le Cienciano, l’équipe locale de football, joue à domicile : le spa où les joueurs vont profiter du sauna après leur match. Et apparemment, cela en vaut la peine. Rien que d’en parler, Jackie a les yeux qui brillent...