Le 14/10/11, 7:50
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Après une matinée de travail au bureau et une mise au point avec Erland sur notre programme de volontariat, je décide de me rendre au 6e Congreso de los Jóvenes del Valle Cusco (Congrès des Jeunes de la vallée de Cusco). Le thème de cette édition est « nouvelles formes de penser et sentir notre culture ».
La rencontre a lieu dans le quartier de Santiago que je ne connais pas encore. Je prends donc mes précautions pour être certaine d’arriver à temps. Résultat des courses, je suis sur place avec plus d’une demi-heure d’avance. Comme il fait un temps magnifique, je décide de prendre le soleil en observant les passants sur une petite place à deux pas du collège où est organisé le congrès et située juste en face de l’hôpital national. De nombreux patients se rendent à leur consultation, parfois en se déplaçant à l’aide de béquilles de fortune. Ce qui me frappe particulièrement ce sont les enseignes des magasins de la place. Dans de nombreuses rues de Cusco, on se croirait encore au temps des corporations où telle ou telle artère était aux mains de tel ou tel corps de métier. Ainsi, sur une certaine avenue, se regroupent de nombreux garagistes, sur une autre plusieurs boulangers, et ainsi de suite. Dans le cas des environs de la place où je me trouve, en raison de la proximité de l’hôpital, les établissements qui pullulent sont les pharmacies, les fleuristes et les funérariums. C’est d’une logique implacable...
Avec près d’une heure de retard, le congrès commence par une conférence sur les politiques culturelles d’inclusion donnée par l’écrivain Lucho Nieto Degregori. L’orateur est un des organisateurs du séminaire sur les politiques culturelles auquel j’avais participé il y environ un mois et demi. Et en quelques semaines, son point de vue n’a pas vraiment changé. Il reste convaincu que malgré ses progrès dans le domaine économique, le Pérou a encore un long chemin à parcourir sur la voie du développement. Il reste un des pays les plus inégalitaires au monde, atteint de deux cancers particulièrement insidieux que les Péruviens se refusent à voir : le racisme envers les populations indigènes et le machisme, qui seraient responsables de la majorité des disfonctionnements de la société péruvienne. Pour le conférencier, la culture est une des réponses à ces maux de par le double rôle socialisateur qu’elle joue. En effet, la culture nous socialise et fait de nous ce que nous sommes et en même temps elle peut également déconstruire ce qu’elle a elle-même socialisé. Ainsi, malgré le fait que les Péruviens soient baignés depuis tous petits dans des idéologies racistes et machistes en raison de leur culture, celle-ci peut également jouer un rôle de remise en question de ces mêmes concepts.
Le politologue Jesus Manya prend ensuite le relais pour discourir sur le concept de bonne gouvernance. Sa présentation me semble un peu plus brouillonne que celle de son prédécesseur mais les idées maitresses que j’en dégage sont que le Pérou connait de grands problèmes de gouvernabilité à tous les niveaux du pouvoir, y compris au sein de la société civile. Dans ce contexte, la défense des droits doit être une préoccupation permanente puisque rien n’est jamais acquis à ce niveau. L’information est une arme importante dans ce combat car, pour pouvoir changer un pays, il faut d’abord le connaitre. Ainsi, la nouvelle génération pourra doter le pays d’un appareil d’Etat plus performant, porté par des gens qualifiés et un système de partis cohérent. C’est du moins là, la lourde tâche qui lui incombe.
Je m’éclipse vite fait à la fin de la présentation car j’ai rendez-vous au cinéma avec Frankie. Nous allons voir un film de Federico García Hurtado. Après avoir assisté à la conférence de la veille, je me devais de voir au moins un de ses long-métrages. Mon choix s’est porté sur une de ses œuvres les plus récentes, « el Socio de Dios » (l’Associé de Dieu). En chemin, je me fais héler par un jeune homme. Il s’agit de Manuel que je n’ai pas reconnu. Etant donné que, pour changer, je ne suis pas à l’avance, je lui propose de m’accompagner et il m’emboite le pas. Lorsque nous arrivons au Musée Inca où est projeté le film, on nous annonce que celui-ci commencera avec une heure de retard. Nous nous installons donc pour papoter. Discuter avec Manuel est toujours aussi agréable. Il me raconte ses histoires de cœurs...
Frankie nous rejoint pour le début du film. Malgré de gros efforts de concentration, j’ai beaucoup de mal à comprendre toute l’intrigue. En gros, l’œuvre relate le parcours Julio Cesar Arana, propriétaire d’une exploitation de caoutchouc et maître d’un véritable petit empire dans la forêt amazonienne où il assied son pouvoir sur l’exploitation inhumaine des tribus indigènes qu’il force au travail. Cette omnipotence sur la région et ses habitants lui vaut le surnom de Socio de Dios. Au terme d’un long combat, plusieurs activistes de la société antiesclavagistes britannique convainquent un juge péruvien d’arrêter le Socio de Dios et de démanteler sa compagnie. Mais cette décision signera l’arrêt de mort l’exploitation du caoutchouc en Amazonie car les activistes antiesclavagisme sont en fait manipulés par des grandes compagnies qui cherchent à évincer du marché le caoutchouc péruvien au profit de celui produit dans les nouvelles plantations du Sud-Est asiatique.
La dernière scène du film ne peut laisser indifférent. On retrouve les personnages principaux du film, el Socio des Dios et un indigène, projeté dans notre époque. Le Socio de Dios a alors les attributs d’un homme d’affaires exploitant les ressources minières amazoniennes et l’indigène ceux d’un mineur. Le message est clair : « A travers les siècles, rien a changé. Le combat doit continuer ».
Après le film, Pamela, une copine péruvienne avec qui nous étions sorties le samedi auparavant, nous rejoint et nous emmène manger dans un petit restaurant très sympa. Toute aussi sympa est la façon dont elle tente de nous faire mieux connaitre son pays. Elle nous parle notamment des relations quelque peu houleuses entre Cusquéniens et Liméens qui n’ont en fait rien de bien plus original que les habituelles chamailleries entre provinciaux et habitants de la capitale d’un pays.
Après le repas, nous nous rendons à l’Atika, une boîte où se produit ce soir Camarada Simon, un groupe qui reprend des groupes rock des années 90, principalement les Red Hot Chili Peppers.
Après avoir un peu cherché notre chemin, nous arrivons enfin à destination. Comme l’Atika n’est pas une boîte qui cherche à tout prix à attirer les touristes, ici, on doit payer notre entrée. En effet, à Cusco, c’est un peu le monde à l’envers. Dans les bars à touristes, aux Occidentaux qui ont un niveau de vie bien plus élevé que les locaux, on offre tout : entrée et shots gratuits. Les Péruviens, eux, doivent raquer à tous les niveaux (entrée, vestiaire, etc.). Bref, à 10.- Soles l’entrée, j’espère que le concert va en valoir la peine.
Et en effet, le groupe n’est pas trop mal. Ce qu’il chante ressemble vraiment à du Red Hot, même si capilairement parlant, on est plus proche des Jackson Five. Le public par contre est plutôt jeune, il y a tout un groupe d’étudiants en voyage de promotion. Plusieurs demoiselles de 17 ans à peine ne peuvent s’empêcher de grimper sur scène et chanter avec le groupe pour se rendre intéressantes. Ce sont les joies de l’adolescence... A la fin du concert, nous estimons que nous avons fait assez de babysitting pour la soirée. Frankie, Pamela et Henri décident de changer d’endroit. Moi, je rentre tranquillement à la maison car je bosse le lendemain.