Le 06/09/11, 22:30
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Aujourd’hui nous assistons à un séminaire, « políticas culturales y gestión cultural ». J’ai un peu l’impression de me retrouver à nouveau sur les bancs de l’école. Mais il est clair que, cette fois, je me frotte à un public que j’ai encore très peu côtoyé depuis mon arrivé, le milieu intellectuel cusquénien, le fin du fin. L’évènement est organisé par el Centro Guaman Poma de Ayala, une association dont le travail consiste à mettre en valeur la culture comme outil de développement et de changement pour une société moins inégalitaire et plus respectueuse des différences. En effet, si l’Afrique est le continent le plus pauvre au monde, l’Amérique latine est le plus inégalitaire. Le grand essor économique qu’a connu le Pérou ces dernières années n’a pas signifié plus d’égalité, plus de sécurité, plus de développement social. Au contraire... Les droits et les besoins de grandes majorités muettes (les populations indigènes, les femmes, etc.) sont encore bien trop souvent ignorés.
La vision des organisateurs du séminaire est donc de promouvoir à travers la culture une plus grande citoyenneté : faire découvrir aux Péruviens qu’ils ont des droits et des moyens pour atténuer ces inégalités et favoriser un système politique démocratique, non-corrompu, attentif aux intérêts de tous. De fait, puisque l’Etat ne remplit pas sa fonction en la matière, c’est à la société civile que revient la responsabilité d’élever la voix pour faire entendre les demandes des divers groupes sociaux. A ce niveau, les artistes peuvent porter leur pierre à l’édifice en fournissant à la société les moyens suffisants pour dialoguer et influencer la politique, en rendant visibles les exclusions et en donnant aux exclus la possibilité de s’exprimer.
La première conférence donnée par Victor Vitch a pour titre « Desculturizar la cultura : Retos actuales de las Políticas Culturales ». C’est de loin la plus intéressante de la journée. Il rappelle dans un premier temps que la culture ne se limite pas à représenter la réalité mais la produit également puisqu’elle est le dispositif socialisateur à travers lequel les êtres humains entrent en relation. En ce, elle ne doit pas être considérée comme une entité à part : toute manifestation humaine implique un aspect culturel. Ainsi, « déculturaliser la culture » signifie positionner la culture comme un agent capable d’intervenir sur la politique (en questionnant la société actuelle ou divers concepts tels que celui du développement, etc.). Cela signifie aussi mesurer la dimension culturelle des évènements qui ne sont a priori pas considérés comme culturels.
Dans la mentalité péruvienne, la culture n’est pas considérée comme un droit. Or, les ressources culturelles peuvent influencer énormément la société en vue de l’améliorer. La culture non seulement représente la réalité mais elle peut aussi changer la perception des gens en les faisant réfléchir sur leur monde et en leur faisant comprendre que d’autres possibilités de sociétés existent. Les politiques culturelles ne donnent pas de solutions aux problèmes de société mais elles modifient l’imaginaire à partir duquel s’est constituée cette société. La culture devient donc un nouveau pouvoir.
Pour se faire, il faut remettre la main sur les lieux publics de plus en plus menacés par la privatisation car ces endroits sont des espaces de démocratisation de la culture. Il faut qu’ils deviennent des lieux chargés de symboles culturels, des lieux où puissent se faire la critique de la société et la représentation d’autres possibilités.
Après cet exposé de plus de deux heures dans un espagnol « rapidisimo », j’ai l’impression d’avoir le cerveau qui fume. Une petite collation est donc la bienvenue. A l’occasion de cette pause, je rencontre Jaime, la personne qui travaille pour Rainforest à Misminay. Nous discutons de nos projets respectifs et il me fait quelques confessions « off the record ». Il m’explique qu’il y a beaucoup de dissensions au niveau du groupe à Misminay. De fait, des propres termes de Jaime, Rainforest a privilégié le matériel sur le « spirituel ». Certes, tous ont de belles maisons et ont bénéficié d’une formation pour recevoir les visiteurs mais il n’y a aucune dynamique de groupe. En cela, Jaime pense que notre manière de travailler est meilleure. Il explique également que l’arrivée de l’argent des touristes n’a fait qu’empirer la situation. Tant que les apports du projet n’étaient que matériels, tout allait bien. Maintenant qu’il faut se distribuer les devises issues de l’activité, les choses s’enveniment : la répartition n’est pas toujours équitable et les tensions s’accentuent. Cela prête à méditation. De notre côté, comment allons-nous gérer ce problème ?
La conférence suivante est moins intéressante. Il s’agit de la présentation d’un réseau d’associations qui travaillent dans le domaine culturel. La nouvelle conférencière parle encore plus vite que Victor Vitch. Pas facile de se concentrer, surtout lorsqu’on a à côté de soi un Erland qui passe son temps à soupirer, bouger dans tous les sens, jouer sur son téléphone portable.
Après une immense pause midi de trois heures, les cours reprennent. Erland n’est pas là, le contraire m’aurait étonné... A la pause, je sympathise avec un certain Juliver. Si je le soupçonne d’être-là avant tout pour profiter du buffet, il n’en est pas moins sympathique.
Le séminaire se termine à 19h00. Il était temps, je meurs de faim et me rends donc à ma cantine habituelle, un petit restaurant familial où je mange trois à quatre soirs par semaine. L’ambiance y est relaxe. L’accueil s’y fait sans chichi. Souvent, les enfants font leurs devoirs sur une table dans un coin. Quand la plus petite ne danse pas entre les tables dans sa robe de princesse... Il y a la serveuse qui s’occupe de vous sans pourtant quitter des yeux sa telenovela préférée. Je m’y sens un peu comme à la maison. De plus les prix sont modiques et il y a toujours une proposition de menu sans viande. Que demander de plus ? Ce soir, le restaurant est bondé. Si bien qu’un jeune homme me demande s’il peut s’installer à ma table pour prendre son repas. Il s’appelle Jefferson et, bien évidemment, il est guide touristique. Le guide touristique à Cusco est aussi original que le banquier à Luxembourg...
Lui aussi habite le quartier. Nous discutons un peu de choses et d’autres. Ce que j’apprécie le plus chez lui, c’est sa franchise. C’est une des rares personnes ici qui a osé me dire que les ONG c’est parfois du grand n’importe quoi. D’habitude, lorsque je dis que je travaille pour une ONG, on me dit « ah, c’est bien », certain vont parfois jusqu’à me remercier de venir œuvrer pour le peuple péruvien. Mais en fait, je partage tout à fait l’avis de Jefferson. Cusco est je crois une des Mecques de la coopération au développement. Pour le meilleur et pour le pire. Tous se disent associations à but non lucratif mais il n’est pas rare que sous les bonnes intentions de façade se cachent des objectifs moins louables. Et, même lorsque les associations sont sérieuses, personne n’est à l’abri d’un dérapage, CENPRODIC y compris. Il est très facile de se tromper et de prendre une mauvaise décision qui au final empire la situation des populations locales au lieu de l’améliorer. L’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?
Après le repas, Jefferson me demande l’autorisation de me raccompagner chez moi. Evidemment, j’accepte. Même si je n’ai encore eu aucune mésaventure en rentrant seule le soir chez moi, je préfère ne pas tenter le diable et être accompagnée le plus souvent possible à la nuit tombée. Ce à quoi j’ai plus de mal à m’habituer c’est tout ce « cérémonial ». Me demander mon autorisation... Si on décrie beaucoup le machisme des hommes ici, il faut reconnaitre que le corolaire de ce sexisme est souvent la plus grande des galanteries. Les hommes vous ouvrent toujours la porte, ils refusent que vous payez au restaurant (et pourtant, ce n’est pas faute d’insister). L’autre jour, en sortant de boite, José Luis m’a prêté sa veste. J’ai cru rêver, moi qui croyais que ce genre de chose n’arrivait que dans les films. Mais en général, ce genre de comportement me met plus mal à l’aise qu’autre chose. Je suis pour l’égalité des genres. Qui dit égalité des droits, dit égalités des devoirs. Donc, j’ouvre ma porte toute seule comme une grande et je paie ma part au restaurant.