Petit bonhomme de chemin

Ce matin, à la fin de ma réunion, je reçois un coup de fil inattendu. Jack, un Canadien avec qui j’avais pris contact via le site du Couch Surfing, débarque à Sta Ana. A vrai dire, nous nous étions envoyé quelques messages et j’avais fini par arrêter de lui répondre car je le trouvais très bizarre. Mais, lorsqu’il appelle, la perspective d’enfin avoir mon premier client l’emporte sur mes réticences.

Après l’avoir très brièvement installé dans sa chambre, je lui propose de l’emmener manger au marché. Nous faisons connaissance. Je n’en démords pas: il est vraiment très spécial mais au fond, il n’a pas l’air bien méchant. Il me raconte ses déboires à Cusco. L’altitude et la nourriture l’ont rendu malade toute la semaine. Il n’a donc pas pu quitter son auberge de jeunesse, le Loki, qui s’est révélé être pour lui l’antichambre de l’enfer. Apparemment, au Loki, dans les dortoirs où on s’entasse à dix, on partage tout: l’alcool, les microbes, les partenaires sexuels. Evidemment, cela ne plait pas à tout le monde, pas à Jack en tout cas. Bref, cela fait plus d’une semaine qu’il est en ville et ce n’est que sa deuxième sortie à l’air libre. C’est dingue. Quand j’entends cela, je remercie mille fois mon petit organisme qui ne m’a jamais fait défaut au cours de mes nombreux voyages.

Après une petite balade digestive (surtout pour moi, vu que Jack n’a rien osé manger sur le marché), je laisse mon nouveau « colocataire » en ville et rentre travailler. Le soir, nous tentons de terminer son installation dans nos murs. C’est la galère : impossible de disposer de la clé de sa chambre, de serviettes propres, de papier toilette, etc. Tout est sous clé et évidemment la personne qui a les clés n’est pas là. C’est un peu la honte. Heureusement, Jack n’est pas exigeant. Apparemment, en comparaison avec le Loki, malgré ces lacunes, notre logement est un paradis.

Même si je continue à le trouver bizarre, je me sens un peu responsable de notre nouveau client. Je l’emmène donc manger ce soir. Pendant le repas, j’essaie de lui expliquer un peu le travail de CENPRODIC. Lui, me parle du film qu’il veut réaliser au Pérou. A priori, je ne suis guère emballée par le scénario mais je manque peut-être d’imagination. Il prévoit entre autre une scène où l’héroïne de son histoire gravit les marches de notre rue, la Cuesta Sta Ana. En discutant, je lui donne des idées d’endroits où il pourrait tourner. Je lui parle notamment d’un graffiti qui me fait beaucoup rire. Il représente un « mochilero » (un voyageur sac au dos) à bout de souffle qui tente de gravir la Cuesta Sta Ana. Jack est emballé par l’idée. Qui sait, peut-être suis-je en train de contribuer à une œuvre majeure du cinéma contemporain. L’avenir nous le dira. Jack s’est donné 5 ans pour réaliser ce projet.