Le 06/07/10, 13:44
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Et oui, comme vous pouvez le remarquer, cette année, je change de page de blog, car la précédente est déjà complète. N’hésitez pas cependant à retourner relire nos aventures sur le lien suivant :
http://blog.ifrance.com/halicya
Qu’il est déjà loin le temps où nous habitions en Asie, à visiter ce magnifique continent en quête d’anecdotes et de belles images... déjà un an que nous étions dans le transsibérien à nous frigorifier les fesses dans la taïga enneigée, 11 mois que nous sommes partis de Seoul pour revenir à Paris. Finalement cette année n’aura été qu’une longue attente de l’échappée annuelle, et le départ en vacances un soulagement.
Conformément à nos habitudes prises en Corée du Sud, nous avons décidé de partir vers une destination atypique pour compléter le cercle des « démocraties » déjà visitée. En l’occurrence Cuba.
En ce qui me concerne, comme bon nombre de Sud Américains, je dois dire qu’avant même d’y aller, j’étais loin de considérer Cuba comme le plus mauvais exemple de régime politique. En effet, la bande de barbus au pouvoir n’a pas toujours pris que des décisions démocratiques, cependant il est difficile de ne pas voir ce que le régime a pu transformer dans la société cubaine. Il existe de profondes inégalités sociales qui sévissent dans mon pays (Brésil) et dans les pays voisins, et de voir certaines réalisations à Cuba me montre à quel point nos dirigeants du passé ont égoïstement dirigé nos pays pour une seule classe de personne. A Cuba, il n’existe pas vraiment de riches, même si depuis quelques années certaines familles bénéficient d’avantage de l’argent du tourisme par exemple. Mais il n’existe personne de vraiment pauvre aussi. Suite à la révolution castriste, les plus pauvres d’alors ont pu bénéficier du partage des logements des plus riches, le régime a également créé un système de sécurité sociale, et la pratique de la médecine sur l’île atteint un niveau très décent (le taux de mortalité est équivalent aux pays développés, taux de natalité maîtrisée), certains aliments sont rationnés. Ce nivelage a aussi ces contreparties : accès à la propriété privée limitée, salaire trop bas pour acheter les produits manufacturés...
Dans l’ensemble, tout cela a créé une aura autour de ce pays, qui dépasse de loin l’Amérique Latine, et je dois avouer que cet exemple a toujours été pour moi source de fantasme, certains dirons une vision un peu trop romantisée de la vérité. Il fallait vérifier, et je disais toujours à Fabien : « il faut aller là-bas tant que Castro est vivant, je veux voir ce qu’est Cuba ». Le rendez-vous avait été pris pour cette année.
1ière destination : La Havane
Cuba est plein de symboles. La Havane est le symbole de Cuba.
Il est clair que quand on arrive à la Havane, et que l’on voit les habitants vivre dans des grosses résidences coloniales, fumer le cigare, boire de grandes bouteilles de Rhum et conduire de grosses voitures américaines, on a du mal à s’imaginer une population qui vit modestement. Pourtant, selon le peu d’information que l’on a pu entendre, un enseignent perçoit autour de 40 Euros par mois (mais logement gratuit, santé gratuite et une partie du rationnement aussi – dont le pain, le lait...). Donc le symbole de cette vie « presque » luxueuse est fort dans le souvenir des Cubains. Un souvenir tenace dans lequel les années 50 ont un rôle clef. Ces années étaient en effet l’apogée du régime corrompu de Batista, qui avait fait la part belle aux riches étasuniens qui voulaient cacher l’argent issu de la contrebande pendant la prohibition. Ceux-ci venaient construire de grandes demeures, dépensaient beaucoup d’argent alors que la population vivaient beaucoup plus simplement. Les Havanais ont certainement pensé à l’époque que la révolution devraient permettre d’accéder à une vie confortable, avec comme modèle l’image qu’avaient légué leurs voisins des Etats-Unis. Depuis, ils ont certes accédé à beaucoup de choses auxquelles ils ne pouvaient prétendre avant, mais naïvement, ils rêvent encore de ce passé.
A la Havane, cela se traduit notamment par de nombreuses autos dans la ville (dont beaucoup de récents modèles – Citroën, Peugeot en tête). Pour moi cela a été une surprise car ayant visité des pays dans des situations de blocus comparable, je ne m’attendais pas à ça. Certes, les belles américaines ont la peau dure, mais le rêve de « démocratisation » de certains biens a fait de l’automobile le grand rêve de cette société. Tellement étonnant quand on sait qu’un litre vaut 1 Euro, qu’une vieille voiture consomme 10L au cent, et que la propriété dans ce domaine est très limitée (impossibilité d’acheter des voitures neuves pour les particuliers, véhicules d’occasion hors de prix) ! La solution, c’est de jouer au taxi. Tous les cubains sont chauffeurs de taxi pour rentabiliser leurs propres kilomètres, et la rue est pleine de voitures.
Passé ce premier choc, l’arrivée dans la Havane n’est pas trop spectaculaire, à peine le temps de voir qu’il n’y a pas de bidonville (au sens des favelas misérables que je connais de mon pays, sans eau et avec égout à ciel ouvert). Tendance qui sera confirmée lors des étapes suivantes. On vit donc modestement mais pas dans l’insalubrité, c’est bien. En fait, pour Fabien qui connaît un peu l’Amérique Latine, tout ici lui semble finalement assez proche de ce qu’il a pu voir au Brésil, mais en plus propre (les villes sont nettoyées – et cela même si les papiers vont plus souvent dans la rue que dans la poubelle – les jardins entretenus, les maisons peintes).
Pour le voyage, nous avons décidé de nous loger chez l’habitant, dans les casas particulares, sortes de chambres d’hôtes autorisées depuis quelques années seulement à Cuba. Cela permet aux habitants de gagner un peu (en réalité énormément) plus d’argent qu’avec leur salaire. Notre habitation à La Havane se situe dans le quartier du Vedado, « beau quartier » du nord de la ville, le long du Malecon (le quai qui longe la mer), avec de grands immeubles coloniaux et aussi des immeubles des années 50 aux grands appartements luxueux. Tout rappel que ce coin de La Havane était habité par de nombreux riches, et le standard « Américain » nous rappelle la provenance de ses anciens habitants.
Chez Umberto chez qui nous habitons, l’appartement est très grand. Au total, 3 suites avec salle de bain qu’il loue une trentaine d’euros par nuit aux visiteurs, ce qui veut dire qu’en période haute, les revenus peuvent approcher les 3000 Euros par mois (à comparer à la cinquantaine d’Euro qui lui sert de retraite). Bien sûr l’état se sert, et Umberto ne loue jamais toutes ses chambres en permanence. Du coup, toute la famille vit de son argent. En effet, Umberto, presque octogénaire, aide surtout ses petits enfants et même ses arrières petits-enfants. Son petit fils ne décolle jamais de devant la télé, et il élève avec sa femme son arrière petit fils. Cette tendance, nous l’avons retrouvé assez régulièrement dans les familles que nous avons rencontrées. Même s’il est normal de faire partager à toute la famille, le comportement des petits enfants contrastent avec ceux des grands parents gentils et hospitaliers. Au contraire, les plus jeunes se montrent indifférents et n’essayent pas de parler avec nous. Ils vivent tels les étatsuniens qui leur servent de modèles, Iphone dans la poche et déjà obèses. Dommage pour nous qui souhaitions des contacts avec les Cubains dans leur ensemble.
La chambre que Umberto nous loue évoque typiquement les grands appartements qui existaient à la même époque aux Etats-Unis. Grandes baies vitrées (alors qu’à Cuba dans les maisons il y a rarement des vitres), chambre de 20 m² avec climatisation (déjà à l’époque et changée depuis par un matériel Russe avec les inscriptions en Cyrillique – mais comment le fait-on fonctionner ???), grand placard emmuré, avec salle de bain. Les habitants de l’époque vivaient à un niveau qui dépassait de loin ce qui se faisait en Amérique du Sud et même en Europe. Pas étonnant dès lors qu’après la révolution, certains cubains se sont sentis frustrés de vivre avec des moyens Russes, de médiocre qualité et de plus petite capacité. Depuis, ils ne rêvent que de ce qu’ils ont perdu.
Le Vedado est un quartier qui montre également les concessions faites par le régime pour loger les cubains les plus pauvres de l’époque, ceux qui vivaient alors dans des bidonvilles. Les grands logements coloniaux ont été réquisitionnés au départ des propriétaires et sont donc soit devenus des lieux publiques (ministères, musée) ou ont été partagés en plusieurs logement pour les plus défavorisés. La contrepartie de tout cela, c’est que ces habitants n’ont jamais eu les moyens d’entretenir ces logements gourmands en besoin de maintenance. Les ouragans et autres désagréments du temps ont eu raison de certaines belles résidences, ce qui est un vrai dommage, mais qui constitue l’image recherchée par les touristes à La Havane (beaucoup moins vrai dans les autres villes de l’île).
L’autre attrait du Vedado est son bord de mer, le Malecon, qui fait face à la côte de la Floride. Cette grande promenade de 5 kilomètres relie le quartier avec le centre ville et même la vieille Havane. Même si la plage est absente, et que le Malecon est une espèce de grande autoroute difficile à traverser à pied, l’endroit est particulièrement sympathique au couché du soleil. Les Cubains s’y réunissent les soirs de week-end pour siroter du rhum et pour pécher.
Mais le Vedado est loin d’être la partie la plus intéressante de la ville. Le Graal à La Havane est bien sûr la partie ancienne de la ville, « Vieja » comme on l’appelle ici. C’est effectivement la partie de la ville qui a été occupée par les premiers colons, et qui a longtemps été le centre de la ville avant d’être progressivement abandonnée avec le développement des zones hors des murs (car La Havane était alors une ville fortifiée). Les bâtiments ont alors subis une longue détérioration qui n’a fini que très récemment, lorsque l’état et surtout l’Unesco ont mis la main à la poche pour remettre à neuf ce patrimoine exceptionnel. En effet, c’est dans cette partie que les monuments les plus anciens subsistent (construits à peine quelques années après la découverte de l’île par Christophe Colomb), souvent construits dans la pierre marine extraite du Malecon même, donnant aux édifices un aspect poreux et exagérément vieillis. On passe d’une place magnifique à une autre, bordées par les vieilles églises et les anciens palais. Les patios sont envahis par les plantes tropicales qui créent une ombre nécessaire pour se protéger de ce soleil qui nous surchauffe. Comme au Brésil, les maisons sont peintes dans des couleurs chatoyantes, un peu comme dans les villes coloniales du Brésil, mais les bâtiments démontrent une richesse qui a su perdurer dans le temps.
Le charme de La Habana Vieja est aussi du à ses petites ruelles, où deux voitures ont peu de place pour se croiser. Récemment, certains endroits sont devenus complètement piéton, ce qui a été un grand changement pour les habitants. Mais des détails nous montrent que tout ne change pas. Le linge sèche au balcon, les enfants jouent au base-ball avec un bâton et un bouchon de bouteille, une femme leur hurle par la fenêtre qu’il faut rentrer à la maison pour manger, la dame du dernier étage remonte depuis son balcon son panier rempli avec quelques légumes grâce à une corde, les chiens dorment dans la rue, un ancien fume le cigare assis sur le trottoir... tout une ambiance. Ces rues n’ont pas encore toutes vu l’argent de l’Unesco manifestement. Pourtant, c’est souvent l’image que l’on se rappelle de La Havane, «Buena Vista Social Club » est passé par là...
Depuis le retour des touristes, le business a repris. Pour ceux qui n’ont pas de place ou un appartement trop vétuste pour faire une chambre d’hôtes, tous les moyens sont bons pour profiter du tourisme. En premier lieu, à travers la vente de petits artisanats. Malheureusement, on ne peut pas toujours dire que ceux-ci soient très originaux (pour Fabien, ça lui a parut assez redondant avec ce qu’il avait vu au Brésil). Mais ce n’est pas ce que recherchent les touristes. En fait, à chaque rue, à chaque magasin d’état et surtout à chaque fois que votre sac à dos de touriste vous trompe aux yeux du local, on peut entendre un « pssst » suivi de « Cigare ? Monte Christo, Cohiba, Romeo y Julieta ? ». Le plus étonnant est que ce marché noir se fait aux yeux de tout le monde, parfois même aux portes des magasins officiels. Bien sûr, il y a de quoi être méfiant, surtout quand les touristes n’y connaissent rien et que les prix pratiqués sont 5 fois moins cher que dans les boutiques officielles (où c’est déjà moitié moins cher qu’en Europe).
Le trafic est simple et peut provenir de plusieurs origines : d’abord les cigares peuvent tout simplement provenir de la ration quotidienne des torçaderos (2 cigares), souvent re-badgés (car ceux des rouleurs des cigares ne sont pas des cigares de grandes valeurs – roulés par les apprentis). Quand nous avons fait la visite de la fabrique de Partagas – la plus connue – en dehors du désagrément de ne pouvoir photographier, nous avons été surpris de voir ces torçaderos essayer de nous vendre des cigares à leur poste de travail et devant le guide. Sinon, certains cigares viennent également des ouvriers qui mettent en boîte et qui ont graissé la patte des officiels qui les encadrent pour sortir des boîtes (pouvant être remplies de cigares de qualité, comme pouvant être aussi remplies de cigares rejetés par le contrôle de qualité, mais là encore comment le touriste naïf peut-il les reconnaître ?). Autre circuit, les cigares vendus à l’unité par des gens dans la rue, qui sont ceux qu’ils achètent pour leur consommation (de moins bonne qualité, car les marques réservées aux Cubains ne prennent pas un tabac identique). Enfin, ce qui est aussi souvent le cas (dans les villes où il n’y a pas de fabrique), les vendeurs des magasins vendent les cigares plus chers que le prix officiel, ce qui leur permet de sortir une boîte de temps à autre du magasin d’état pour la revendre à leur compte aux touristes. J’allais presque oublier le cas de ceux qui font les cigares eux-mêmes pour les vendre, et là il faut faire attention, car le maïs et autre produit ressemblant au tabac peuvent avantageusement replacer ce pour quoi vous souhaitez l’acheter. Les autorités ont cherché à bloquer ce marché noir, mais il semble qu’une certaine liberté est laissée à la population car un seuil de 50 cigares sans factures est autorisé à la sortie du pays. Dans mon cas, j’avais flashé sur une belle porcelaine qui sert à faire sécher le tabac, malheureusement introuvable sur le marché noir et trop chère dans les magasins d’état.
La fabrique de cigares Partagas est l’endroit qu’il est le plus courant d’aller visiter quand on vient à la Havane. C’est une des plus anciennes de la ville et celle qui est régulièrement filmée par les télévisions étrangères. Nous n’avons malheureusement pas eu le droit de photographier à l’intérieur ce qui a énervé profondément Fabien. Il faut dire qu’à 10 euros la visite on peut s’attendre à faire des photos. Sauf que les images des travailleurs seraient utilisées en occident pour faire passer des messages politiques... on se demande lesquels ! L’atelier est très typique. Plusieurs étages, des centaines d’ouvriers. On fait le tour des salles, en commençant par le travail de dénervurage des feuilles (la fermentation des feuilles est faite avant d’arriver ici), le tri des teintes de feuilles, puis enfin le roulage des cigares, ce qui représente le lieu le plus attendu de la visite. Là, dans la grande salle, les ouvriers roulent leur cigare en plusieurs fois. D’abord rouler la trippe dans la sous-cape, laisser reposer le cigare dans un « moule » avant de le rouler dans la cape. Puis viennent les étapes de finition (coupe, finition de la tête). Dans la salle, une estrade où quotidiennement un liseur lit le journal ou un livre deux fois par jour. Tous les rouleurs ne font pas les mêmes cigares, il existe de nombreuses tailles, des couleurs différentes, des têtes différentes... tout doit être appris dans la salle d’apprentissage. A Cuba, depuis la révolution, tous les cigares sont de toute façon commercialisés par la société d’état, même s’il existe plusieurs marques. D’ailleurs, la mise en place de la bague de la marque intervient juste après, à un autre étage. Les cigares sont d’abord regroupés en nuance de couleur, puis badgés et mis en boîte. Tout un processus de travail manuel qui explique le coût de ces grosses cigarettes. Les travailleurs profitent du cigare jusqu’au bout puisqu’ils ont droit de fumer tout ce qu’ils veulent à leur poste de travail... Mais le plus surprenant à propos du tabagisme est qu’officiellement à Cuba « il faut lutter contre le tabagisme », paradoxal, non ?
Le tabac n’est pas tout et nous avons largement profité de nos visites de la ville. Il faut dire que celle-ci est assez petite. Ou plutôt la partie intéressante de la ville n’est pas très étendue. Comme nous y sommes restés une dizaine de jour, nous avons eu le temps de découvrir la ville dans les détails. Nous avons d’ailleurs profité pour faire le trajet depuis notre hébergement jusqu’au centre ville à pied, et ainsi pu découvrir les petites rues oubliées par les touristes qui prennent généralement le taxi. Et dès que l’on sort des sentiers battus, la ville devient plus calme, et moins oppressante pour les touristes. On peut enfin profiter de la Havane, de ses rues, de ses voitures et de ses habitants. Et on s’émerveille de ces vieilles bâtisses qui marquent ce temps révolu, de ces magnifiques flamboyants (ce sont des arbres aux fleurs rouges) qui font de l’ombre aux trottoirs, de ces belles Cadillac, Oldsmobile, Chevrolet ou Dodge décapotables qui serpentent dans la ville.
Enfin, un des endroits mythiques à visiter à La Havane reste la place de la révolution, et le mémorial José Marti. Ce dernier est le vrai héro de la révolution pour les Cubains. Peu connu par les étrangers, c’est en effet lui l’idéologiste de la révolution et le premier à avoir vu les risques du protectorat Etats-uniens. Mort au combat au XIXème siècle, il est idolâtré par Castro. Un petit musée rappelle son combat et son parcours. Par contre l’entrée au mémorial n’est pas donnée, et cela fait enrager Fabien. Mais le plus connu des monuments de la place reste le ministère de l’intérieur sur les murs duquel on peut voir cet immense portrait de Che Guevara, connu dans le monde entier. De l’autre côté de la place, un portrait de Camilo Cienfuegos, autre héro barbu de la révolution, mort dans un accident d’avion au lendemain de la prise de pouvoir de Castro. L’immense place centrale était utilisée pour les discours fleuves de Fidel Castro.
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Qu’il est déjà loin le temps où nous habitions en Asie, à visiter ce magnifique continent en quête d’anecdotes et de belles images... déjà un an que nous étions dans le transsibérien à nous frigorifier les fesses dans la taïga enneigée, 11 mois que nous sommes partis de Seoul pour revenir à Paris. Finalement cette année n’aura été qu’une longue attente de l’échappée annuelle, et le départ en vacances un soulagement.
Conformément à nos habitudes prises en Corée du Sud, nous avons décidé de partir vers une destination atypique pour compléter le cercle des « démocraties » déjà visitée. En l’occurrence Cuba.
En ce qui me concerne, comme bon nombre de Sud Américains, je dois dire qu’avant même d’y aller, j’étais loin de considérer Cuba comme le plus mauvais exemple de régime politique. En effet, la bande de barbus au pouvoir n’a pas toujours pris que des décisions démocratiques, cependant il est difficile de ne pas voir ce que le régime a pu transformer dans la société cubaine. Il existe de profondes inégalités sociales qui sévissent dans mon pays (Brésil) et dans les pays voisins, et de voir certaines réalisations à Cuba me montre à quel point nos dirigeants du passé ont égoïstement dirigé nos pays pour une seule classe de personne. A Cuba, il n’existe pas vraiment de riches, même si depuis quelques années certaines familles bénéficient d’avantage de l’argent du tourisme par exemple. Mais il n’existe personne de vraiment pauvre aussi. Suite à la révolution castriste, les plus pauvres d’alors ont pu bénéficier du partage des logements des plus riches, le régime a également créé un système de sécurité sociale, et la pratique de la médecine sur l’île atteint un niveau très décent (le taux de mortalité est équivalent aux pays développés, taux de natalité maîtrisée), certains aliments sont rationnés. Ce nivelage a aussi ces contreparties : accès à la propriété privée limitée, salaire trop bas pour acheter les produits manufacturés...
Dans l’ensemble, tout cela a créé une aura autour de ce pays, qui dépasse de loin l’Amérique Latine, et je dois avouer que cet exemple a toujours été pour moi source de fantasme, certains dirons une vision un peu trop romantisée de la vérité. Il fallait vérifier, et je disais toujours à Fabien : « il faut aller là-bas tant que Castro est vivant, je veux voir ce qu’est Cuba ». Le rendez-vous avait été pris pour cette année.
1ière destination : La Havane
Cuba est plein de symboles. La Havane est le symbole de Cuba.
Il est clair que quand on arrive à la Havane, et que l’on voit les habitants vivre dans des grosses résidences coloniales, fumer le cigare, boire de grandes bouteilles de Rhum et conduire de grosses voitures américaines, on a du mal à s’imaginer une population qui vit modestement. Pourtant, selon le peu d’information que l’on a pu entendre, un enseignent perçoit autour de 40 Euros par mois (mais logement gratuit, santé gratuite et une partie du rationnement aussi – dont le pain, le lait...). Donc le symbole de cette vie « presque » luxueuse est fort dans le souvenir des Cubains. Un souvenir tenace dans lequel les années 50 ont un rôle clef. Ces années étaient en effet l’apogée du régime corrompu de Batista, qui avait fait la part belle aux riches étasuniens qui voulaient cacher l’argent issu de la contrebande pendant la prohibition. Ceux-ci venaient construire de grandes demeures, dépensaient beaucoup d’argent alors que la population vivaient beaucoup plus simplement. Les Havanais ont certainement pensé à l’époque que la révolution devraient permettre d’accéder à une vie confortable, avec comme modèle l’image qu’avaient légué leurs voisins des Etats-Unis. Depuis, ils ont certes accédé à beaucoup de choses auxquelles ils ne pouvaient prétendre avant, mais naïvement, ils rêvent encore de ce passé.
A la Havane, cela se traduit notamment par de nombreuses autos dans la ville (dont beaucoup de récents modèles – Citroën, Peugeot en tête). Pour moi cela a été une surprise car ayant visité des pays dans des situations de blocus comparable, je ne m’attendais pas à ça. Certes, les belles américaines ont la peau dure, mais le rêve de « démocratisation » de certains biens a fait de l’automobile le grand rêve de cette société. Tellement étonnant quand on sait qu’un litre vaut 1 Euro, qu’une vieille voiture consomme 10L au cent, et que la propriété dans ce domaine est très limitée (impossibilité d’acheter des voitures neuves pour les particuliers, véhicules d’occasion hors de prix) ! La solution, c’est de jouer au taxi. Tous les cubains sont chauffeurs de taxi pour rentabiliser leurs propres kilomètres, et la rue est pleine de voitures.
Passé ce premier choc, l’arrivée dans la Havane n’est pas trop spectaculaire, à peine le temps de voir qu’il n’y a pas de bidonville (au sens des favelas misérables que je connais de mon pays, sans eau et avec égout à ciel ouvert). Tendance qui sera confirmée lors des étapes suivantes. On vit donc modestement mais pas dans l’insalubrité, c’est bien. En fait, pour Fabien qui connaît un peu l’Amérique Latine, tout ici lui semble finalement assez proche de ce qu’il a pu voir au Brésil, mais en plus propre (les villes sont nettoyées – et cela même si les papiers vont plus souvent dans la rue que dans la poubelle – les jardins entretenus, les maisons peintes).
Pour le voyage, nous avons décidé de nous loger chez l’habitant, dans les casas particulares, sortes de chambres d’hôtes autorisées depuis quelques années seulement à Cuba. Cela permet aux habitants de gagner un peu (en réalité énormément) plus d’argent qu’avec leur salaire. Notre habitation à La Havane se situe dans le quartier du Vedado, « beau quartier » du nord de la ville, le long du Malecon (le quai qui longe la mer), avec de grands immeubles coloniaux et aussi des immeubles des années 50 aux grands appartements luxueux. Tout rappel que ce coin de La Havane était habité par de nombreux riches, et le standard « Américain » nous rappelle la provenance de ses anciens habitants.
Chez Umberto chez qui nous habitons, l’appartement est très grand. Au total, 3 suites avec salle de bain qu’il loue une trentaine d’euros par nuit aux visiteurs, ce qui veut dire qu’en période haute, les revenus peuvent approcher les 3000 Euros par mois (à comparer à la cinquantaine d’Euro qui lui sert de retraite). Bien sûr l’état se sert, et Umberto ne loue jamais toutes ses chambres en permanence. Du coup, toute la famille vit de son argent. En effet, Umberto, presque octogénaire, aide surtout ses petits enfants et même ses arrières petits-enfants. Son petit fils ne décolle jamais de devant la télé, et il élève avec sa femme son arrière petit fils. Cette tendance, nous l’avons retrouvé assez régulièrement dans les familles que nous avons rencontrées. Même s’il est normal de faire partager à toute la famille, le comportement des petits enfants contrastent avec ceux des grands parents gentils et hospitaliers. Au contraire, les plus jeunes se montrent indifférents et n’essayent pas de parler avec nous. Ils vivent tels les étatsuniens qui leur servent de modèles, Iphone dans la poche et déjà obèses. Dommage pour nous qui souhaitions des contacts avec les Cubains dans leur ensemble.
La chambre que Umberto nous loue évoque typiquement les grands appartements qui existaient à la même époque aux Etats-Unis. Grandes baies vitrées (alors qu’à Cuba dans les maisons il y a rarement des vitres), chambre de 20 m² avec climatisation (déjà à l’époque et changée depuis par un matériel Russe avec les inscriptions en Cyrillique – mais comment le fait-on fonctionner ???), grand placard emmuré, avec salle de bain. Les habitants de l’époque vivaient à un niveau qui dépassait de loin ce qui se faisait en Amérique du Sud et même en Europe. Pas étonnant dès lors qu’après la révolution, certains cubains se sont sentis frustrés de vivre avec des moyens Russes, de médiocre qualité et de plus petite capacité. Depuis, ils ne rêvent que de ce qu’ils ont perdu.
Le Vedado est un quartier qui montre également les concessions faites par le régime pour loger les cubains les plus pauvres de l’époque, ceux qui vivaient alors dans des bidonvilles. Les grands logements coloniaux ont été réquisitionnés au départ des propriétaires et sont donc soit devenus des lieux publiques (ministères, musée) ou ont été partagés en plusieurs logement pour les plus défavorisés. La contrepartie de tout cela, c’est que ces habitants n’ont jamais eu les moyens d’entretenir ces logements gourmands en besoin de maintenance. Les ouragans et autres désagréments du temps ont eu raison de certaines belles résidences, ce qui est un vrai dommage, mais qui constitue l’image recherchée par les touristes à La Havane (beaucoup moins vrai dans les autres villes de l’île).
L’autre attrait du Vedado est son bord de mer, le Malecon, qui fait face à la côte de la Floride. Cette grande promenade de 5 kilomètres relie le quartier avec le centre ville et même la vieille Havane. Même si la plage est absente, et que le Malecon est une espèce de grande autoroute difficile à traverser à pied, l’endroit est particulièrement sympathique au couché du soleil. Les Cubains s’y réunissent les soirs de week-end pour siroter du rhum et pour pécher.
Mais le Vedado est loin d’être la partie la plus intéressante de la ville. Le Graal à La Havane est bien sûr la partie ancienne de la ville, « Vieja » comme on l’appelle ici. C’est effectivement la partie de la ville qui a été occupée par les premiers colons, et qui a longtemps été le centre de la ville avant d’être progressivement abandonnée avec le développement des zones hors des murs (car La Havane était alors une ville fortifiée). Les bâtiments ont alors subis une longue détérioration qui n’a fini que très récemment, lorsque l’état et surtout l’Unesco ont mis la main à la poche pour remettre à neuf ce patrimoine exceptionnel. En effet, c’est dans cette partie que les monuments les plus anciens subsistent (construits à peine quelques années après la découverte de l’île par Christophe Colomb), souvent construits dans la pierre marine extraite du Malecon même, donnant aux édifices un aspect poreux et exagérément vieillis. On passe d’une place magnifique à une autre, bordées par les vieilles églises et les anciens palais. Les patios sont envahis par les plantes tropicales qui créent une ombre nécessaire pour se protéger de ce soleil qui nous surchauffe. Comme au Brésil, les maisons sont peintes dans des couleurs chatoyantes, un peu comme dans les villes coloniales du Brésil, mais les bâtiments démontrent une richesse qui a su perdurer dans le temps.
Le charme de La Habana Vieja est aussi du à ses petites ruelles, où deux voitures ont peu de place pour se croiser. Récemment, certains endroits sont devenus complètement piéton, ce qui a été un grand changement pour les habitants. Mais des détails nous montrent que tout ne change pas. Le linge sèche au balcon, les enfants jouent au base-ball avec un bâton et un bouchon de bouteille, une femme leur hurle par la fenêtre qu’il faut rentrer à la maison pour manger, la dame du dernier étage remonte depuis son balcon son panier rempli avec quelques légumes grâce à une corde, les chiens dorment dans la rue, un ancien fume le cigare assis sur le trottoir... tout une ambiance. Ces rues n’ont pas encore toutes vu l’argent de l’Unesco manifestement. Pourtant, c’est souvent l’image que l’on se rappelle de La Havane, «Buena Vista Social Club » est passé par là...
Depuis le retour des touristes, le business a repris. Pour ceux qui n’ont pas de place ou un appartement trop vétuste pour faire une chambre d’hôtes, tous les moyens sont bons pour profiter du tourisme. En premier lieu, à travers la vente de petits artisanats. Malheureusement, on ne peut pas toujours dire que ceux-ci soient très originaux (pour Fabien, ça lui a parut assez redondant avec ce qu’il avait vu au Brésil). Mais ce n’est pas ce que recherchent les touristes. En fait, à chaque rue, à chaque magasin d’état et surtout à chaque fois que votre sac à dos de touriste vous trompe aux yeux du local, on peut entendre un « pssst » suivi de « Cigare ? Monte Christo, Cohiba, Romeo y Julieta ? ». Le plus étonnant est que ce marché noir se fait aux yeux de tout le monde, parfois même aux portes des magasins officiels. Bien sûr, il y a de quoi être méfiant, surtout quand les touristes n’y connaissent rien et que les prix pratiqués sont 5 fois moins cher que dans les boutiques officielles (où c’est déjà moitié moins cher qu’en Europe).
Le trafic est simple et peut provenir de plusieurs origines : d’abord les cigares peuvent tout simplement provenir de la ration quotidienne des torçaderos (2 cigares), souvent re-badgés (car ceux des rouleurs des cigares ne sont pas des cigares de grandes valeurs – roulés par les apprentis). Quand nous avons fait la visite de la fabrique de Partagas – la plus connue – en dehors du désagrément de ne pouvoir photographier, nous avons été surpris de voir ces torçaderos essayer de nous vendre des cigares à leur poste de travail et devant le guide. Sinon, certains cigares viennent également des ouvriers qui mettent en boîte et qui ont graissé la patte des officiels qui les encadrent pour sortir des boîtes (pouvant être remplies de cigares de qualité, comme pouvant être aussi remplies de cigares rejetés par le contrôle de qualité, mais là encore comment le touriste naïf peut-il les reconnaître ?). Autre circuit, les cigares vendus à l’unité par des gens dans la rue, qui sont ceux qu’ils achètent pour leur consommation (de moins bonne qualité, car les marques réservées aux Cubains ne prennent pas un tabac identique). Enfin, ce qui est aussi souvent le cas (dans les villes où il n’y a pas de fabrique), les vendeurs des magasins vendent les cigares plus chers que le prix officiel, ce qui leur permet de sortir une boîte de temps à autre du magasin d’état pour la revendre à leur compte aux touristes. J’allais presque oublier le cas de ceux qui font les cigares eux-mêmes pour les vendre, et là il faut faire attention, car le maïs et autre produit ressemblant au tabac peuvent avantageusement replacer ce pour quoi vous souhaitez l’acheter. Les autorités ont cherché à bloquer ce marché noir, mais il semble qu’une certaine liberté est laissée à la population car un seuil de 50 cigares sans factures est autorisé à la sortie du pays. Dans mon cas, j’avais flashé sur une belle porcelaine qui sert à faire sécher le tabac, malheureusement introuvable sur le marché noir et trop chère dans les magasins d’état.
La fabrique de cigares Partagas est l’endroit qu’il est le plus courant d’aller visiter quand on vient à la Havane. C’est une des plus anciennes de la ville et celle qui est régulièrement filmée par les télévisions étrangères. Nous n’avons malheureusement pas eu le droit de photographier à l’intérieur ce qui a énervé profondément Fabien. Il faut dire qu’à 10 euros la visite on peut s’attendre à faire des photos. Sauf que les images des travailleurs seraient utilisées en occident pour faire passer des messages politiques... on se demande lesquels ! L’atelier est très typique. Plusieurs étages, des centaines d’ouvriers. On fait le tour des salles, en commençant par le travail de dénervurage des feuilles (la fermentation des feuilles est faite avant d’arriver ici), le tri des teintes de feuilles, puis enfin le roulage des cigares, ce qui représente le lieu le plus attendu de la visite. Là, dans la grande salle, les ouvriers roulent leur cigare en plusieurs fois. D’abord rouler la trippe dans la sous-cape, laisser reposer le cigare dans un « moule » avant de le rouler dans la cape. Puis viennent les étapes de finition (coupe, finition de la tête). Dans la salle, une estrade où quotidiennement un liseur lit le journal ou un livre deux fois par jour. Tous les rouleurs ne font pas les mêmes cigares, il existe de nombreuses tailles, des couleurs différentes, des têtes différentes... tout doit être appris dans la salle d’apprentissage. A Cuba, depuis la révolution, tous les cigares sont de toute façon commercialisés par la société d’état, même s’il existe plusieurs marques. D’ailleurs, la mise en place de la bague de la marque intervient juste après, à un autre étage. Les cigares sont d’abord regroupés en nuance de couleur, puis badgés et mis en boîte. Tout un processus de travail manuel qui explique le coût de ces grosses cigarettes. Les travailleurs profitent du cigare jusqu’au bout puisqu’ils ont droit de fumer tout ce qu’ils veulent à leur poste de travail... Mais le plus surprenant à propos du tabagisme est qu’officiellement à Cuba « il faut lutter contre le tabagisme », paradoxal, non ?
Le tabac n’est pas tout et nous avons largement profité de nos visites de la ville. Il faut dire que celle-ci est assez petite. Ou plutôt la partie intéressante de la ville n’est pas très étendue. Comme nous y sommes restés une dizaine de jour, nous avons eu le temps de découvrir la ville dans les détails. Nous avons d’ailleurs profité pour faire le trajet depuis notre hébergement jusqu’au centre ville à pied, et ainsi pu découvrir les petites rues oubliées par les touristes qui prennent généralement le taxi. Et dès que l’on sort des sentiers battus, la ville devient plus calme, et moins oppressante pour les touristes. On peut enfin profiter de la Havane, de ses rues, de ses voitures et de ses habitants. Et on s’émerveille de ces vieilles bâtisses qui marquent ce temps révolu, de ces magnifiques flamboyants (ce sont des arbres aux fleurs rouges) qui font de l’ombre aux trottoirs, de ces belles Cadillac, Oldsmobile, Chevrolet ou Dodge décapotables qui serpentent dans la ville.
Enfin, un des endroits mythiques à visiter à La Havane reste la place de la révolution, et le mémorial José Marti. Ce dernier est le vrai héro de la révolution pour les Cubains. Peu connu par les étrangers, c’est en effet lui l’idéologiste de la révolution et le premier à avoir vu les risques du protectorat Etats-uniens. Mort au combat au XIXème siècle, il est idolâtré par Castro. Un petit musée rappelle son combat et son parcours. Par contre l’entrée au mémorial n’est pas donnée, et cela fait enrager Fabien. Mais le plus connu des monuments de la place reste le ministère de l’intérieur sur les murs duquel on peut voir cet immense portrait de Che Guevara, connu dans le monde entier. De l’autre côté de la place, un portrait de Camilo Cienfuegos, autre héro barbu de la révolution, mort dans un accident d’avion au lendemain de la prise de pouvoir de Castro. L’immense place centrale était utilisée pour les discours fleuves de Fidel Castro.