Le 30/01/14, 15:24
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4h. Encore une fois, je me réveille avant que le réveil ne sonne.
Cette fois, c'est la chaleur. Il fait vraiment chaud la nuit, ça change d'Addis ou du nord de l'Ethiopie.
Une douche (froide) pour me réveiller, je finis de plier mon sac. Je mets directement un short car je pense que je vais avoir bien chaud durant les 2 prochains jours. Le nécessaire vital dans mon petit sac à dos que je vais garder avec moi dans le bus, le gros ira en soute.
Paré comme un militaire, frontale sur la tête, mon couteau dans la poche (on n'est jamais trop prudent...), je m'approche de la frontière.
Premier contrôle pour sortir de l'Ethiopie, il est 5h. Tout est fermé, bien évidemment, mais j'ai pris le soin la veille de me faire tamponner mes visas éthiopien et kenyan.
Ça y est, c'est officiel, je quitte l'Ethiopie. Je suis bien triste, mais je me suis promis de revenir l'hiver prochain...!
Puis l'immigration kenyane.
"Jambo!" (Bonjour!)
"Karibu!" (Bienvenue!)
Les premiers mots de swahili me reviennent. Je vais retrouver la langue jusqu'à la fin de mon séjour, même si les ougandais parlent plus anglais que swahili.
Plusieurs centaines de mètres séparent la frontière kenyane du centre-ville de Moyale, au Kenya. Entre les deux, il fait nuit noire. Le ciel est époustouflant.
J'éteins ma frontale (j'ai entendu parler de braquages la nuit dans cette zone) pour me rapprocher le plus vite possible de deux personnes devant moi.
Il s'agit d'un pasteur et sa femme, qui vont eux aussi à Nairobi, mais pas avec la même compagnie de bus.
Première chose frappante: les kenyans parlent beaucoup mieux anglais que les éthiopiens, l'anglais étant la langue officielle, alors que l'amharique est la langue officielle d'Ethiopie.
J'arrive au bus, je me fais accueillir par un "responsable" de la compagnie de bus, Moyale Star, qui se surnomme "Uncle Sam". Il m'offre un stylo de la compagnie. Sympa!
Ici, les blancs ne sont plus appelés "Farenjis" mais "muzungus".
Mon gros sac part en soute, je prends le soin de mettre la protection étanche de mon sac car je vois tous le monde mettre les bagages dans des sacs.
Je monte dans le bus, mon siège est le numéro 63. Il y a 67 places dans le bus. J'ai eu de la chance hier en achetant mon billet. 30 minutes plus tard et j'aurais dû attendre un jour de plus...
Après plusieurs dizaines de minutes, le bus part. Plein à craquer, bien évidemment...
Le goudron ne dure malheureusement que quelques kilomètres. Dès lors, c'est de la piste, sableuse, et surtout (!) c'est la fête foraine. La route n'est pas plate, c'est comme s'il y avait sans cesse des dos d'âne, mais irrégulier. Pas deux secondes consécutives sans que les passagers ne décollent plus ou moins de leurs sièges... Bon sang ça va être long et insupportable. Mes potes français Julien et Toto m'avaient prévenu... Mais c'est le seul moyen de rallier l'Ethiopie et Nairobi par la route.
Au bout de plusieurs kilomètres (donc plusieurs centaines de dos d'âne...), premier arrêt. Contrôle de police. Des militaires montent dans le bus pour contrôler les papiers de tout le monde. Pas de problème pour ma part. En revanche, les plus jeunes ont des problèmes. En effet, quand un jeune n'a pas de pièce d'identité, il répond "student", car ici, les pièces d'identité ne sont pas délivrées avant l'âge de 18 ans.
Normalement, les personnes sans pièce d'identité sont censées voyager avec un certificat de naissance. Sauf que, tous ne l'ont pas. Voire même la plupart. Par exemple, mon pote Kule d'Addis ne connaît pas le jour exact de sa naissance.
Malgré ça, les militaires n'en font pas tout un plat. Une petite remontrance en regardant l'intéressé dans les yeux et ça passe... Étrange, si près d'une frontière.
Les militaires descendent, mais le bus ne part toujours pas. J'en profite pour parler avec le seul autre muzungu du bus, qui est juste devant moi. Il s'appelle Léon, il vient d'Amsterdam et voyage pendant 5 mois, d'Addis à Johannesbourg, où il prendra un avion pour Madagascar, et y passer 1 mois, avant de rentrer en terre batave. Il traversera le Kenya, la Tanzanie, le Malawi, le Mozambique, le Swaziland, puis l'Afrique du Sud. Il voyage sans guide, sans carte, il se fait " porter" par les conseils des locaux et des autres voyageurs rencontrés sur la route. Ni une ni deux, je lui parle de mon voyage 2 ans plus tôt, avec notamment la traversée du lac Malawi en ferry, puis tout le nord du Mozambique en train, puis les "spots" à ne pas manquer le long de la côte mozambicaine. Ses yeux s'écarquillent et un grand sourire s'esquisse sur son visage. Ah. Bingo, j'ai tapé dans le mille, ça a l'air de lui plaire. C'est vrai que j'avais eu de la chance de faire toutes ces étapes et ces expériences incroyables...! Bref, je lui écris tout ça sur un papier, exactement comme je l'avais fait pour Jihu, une sud-coréenne que j'avais rencontré quelques jours plus tôt, à Awasa, en Éthiopie.
On discute de longues minutes ensemble, assez sympathique, ce jeune hollandais.
Puis le bus redémarre. Enfin, ça devait faire 30 minutes qu'on était arrêtés.
Mais, le véhicule fait demi-tour. Chiotte. Je demande aux voisins, ils ne savent pas non plus la raison. Peut être que nous devons retourner à Moyale changer une pièce, ou je ne sais quoi.
On arrive à Moyale, on descend tous du bus, ne sachant toujours pas la raison de notre retour en ville. Je pars discuter avec le chauffeur, qui m'explique que c'est pour des raisons de sécurité. J'étais au courant de conflits inter-tribaux dans le nord du Kenya, mais je ne pensais pas qu'un bus ne puisse pas passer pour cette raison.
Nous attendons donc des informations de la part de l'armée kenyane pour savoir quand passer cette zone à risques. Dans une heure? Deux? Quatre? Huit? Demain...? Personne ne sait...
Au bout de 30 minutes, un convoi d'une douzaine de militaires kenyans armés jusqu'aux dents apparaît. Ils montent dans un camion et vous nous "escorter". Bon, ça a l'air beaucoup plus sérieux que ce que je ne pensais...
Le bus klaxonne, tout le monde de précipite pour grimper dedans, et nous repartons, en suivant de près le camion de l'armée.
Quelques kilomètres plus loin, nous nous arrêtons au même checkpoint qu'auparavant. Les militaires partent en éclaireurs.
J'essaie de prendre des informations auprès d'autres passagers, personne ne sait réellement ce qui se passe, hormis que ce n'est pas très "safe"... Je descends du bus pour demander à un autre militaire qui m'apprend, qu'à cause de ces conflits ethniques, à 800 mètres de là où nous nous trouvons, hier, il y a eu 13 morts. Et la veille, 24... Gloups....
Ok... Donc c'est vraiment pas de la blague.
Les militaires reviennent une bonne vingtaine de minutes plus tard, la voie est libre, nous pouvons traverser la zone.
Il est 8h40, nous sommes initialement partis à 6h et quelques, nous avons fait 12km... Le trajet initial durant 24h, ça va être vraiment long...
Nous repartons et la fête foraine continue. De plus, les fenêtres du bus ferment toutes assez mal, ce qui fait rentrer la poussière par l'arrière du bus. Je suis au dernier rang, je déguste...
Une trentaine de kilomètres plus tard, de nouveau un contrôle.
Puis un autre, une heure plus tard. Hallucinant.
Zone frontalière, certes, mais voilà que j'ai présenté mon passeport 4 fois en une demie-journée, alors que je ne l'ai jamais sorti en 5 semaines en Éthiopie!
Le suite de la route, je ne vais pas la faire en détail kilomètre par kilomètre. Poussière, rebonds interminables... Le paysage (et non pas leS paysageS, parce que c'est la même chose pendant des dizaines et des dizaines de kilomètres...) est, en revanche, ahurissant. Lunaire. Tout est plat (sauf la "route", bien entendu...). Juste des pierres d'une taille maximale d'un ballon de football, éperdus à l'infini, sur un sol sec. Au loin, de temps en temps, on aperçoit des chameaux, comme des mirages, mais par vingtaine ou trentaine. Seuls. Pas de caravane comme les touaregs. Ils errent seulement...
J'ai échangé de place avec ma voisine de devant pour être à côté de Léon. D'une, pour discuter, et de deux, pour éviter d'être assis à côté de l'énorme mama africaine au siège 64. J'étais littéralement "coincé" entre elle et la fenêtre du fond du bus.
On discute, puis il s'endort. Je ne sais pas comment il arrive à dormir sur cette piste. Parfois, tous les passagers décollent de plus de 50cm de leur siège! (même la mama derrière nous!!!)
Après quelques heures de route, au milieu de la matinée, un arrêt s'offre à nous. Pause "petit déjeuner". Je prends un chai (thé avec du lait) boisson typique du Kenya, puisque le seul café qu'on me propose est du café instantané. Pouark... Avec ceci, je mange des chapati, une espèce de crêpe typique d'Afrique de l'est. Rien d'exceptionnel au goût, mais ça cale. Et ça coûte rien. Léon boit juste un thé.
On repart en attrapant le bus de justesse, en courant après le bus qui commençait déjà à rouler la porte ouverte. "Muzungus! Muzungus!" crient les autres passagers en rigolant.
Puis on roule. On saute, on roule, on saute... Les fessiers se raffermissent au fur et à mesure des kilomètres.
Après Nairobi, Léon partira en direction de Nakuru, sur la route à l'ouest de Nairobi, en direction du lac Victoria, pour retrouver un ami à lui. Je pense initialement à rallier Kisumu, plus à l'ouest. Si jamais je n'arrive pas à Kisumu en un jour, je me joindrais peut être à lui...
De nouveaux contrôles de police.... Encore et toujours...
Une autre pause quelques heures plus tard. Il est presque midi. Léon et moi descendons du bus pour fumer une cigarette. On discute un moment à l'ombre du bus, il fait vraiment chaud. Et encore une fois, il n'y a strictement rien aux alentours, hormis une seule et minuscule échoppe qui vend des chapatis, boisson (à température ambiante...) cigarettes et chewing gums...
On rencontre Benjamin, de nationalité kenyane, qui revient d'Addis pour affaires. On commence à discuter (football, bien entendu, le langage universel...) et il me demande si je viens de Bordeaux, car il supporte les Girondins..! Je lui dis en rigolant qu'on ne sera plus amis car Bordeaux a battu St Étienne quelques jours plus tôt. Nous éclatons de rire en chœur...
Puis le bus klaxonne. Nous devons remonter à l'intérieur. Léon me devance mais je le vois se tenir au bus.
"Ça va?"
"Non, pas tellement..."
Au moment de remonter dans le bus, il ne peut plus avancer. Je lui ordonne de s'asseoir dehors, demandant au chauffeur de patienter quelques minutes (après tout, sur un trajet de 25h, on n'est pas à 5 minutes près...)
Je monte dans le bus chercher ma seule bouteille d'eau qu'il me reste, et demande aux passagers une bouteille de Coca. Le chauffeur me tend une petite bouteille de Sprite toute neuve, et je redescends voir Léon, qui est assis et est devenu l'attraction touristique, une trentaine de personnes étant debout autour de lui, assis sur une pierre, sans pouvoir bouger. Tout le monde s'écarte quand je leur demande de lui laisser de l'air, et je lui ordonne de boire le demi-litre de Sprite d'un seul coup, puis boire l'eau tranquillement. Il tremble comme une feuille, le pauvre...
Il n'a rien mangé ce matin, et avec la fatigue, la chaleur (il était côté fenêtre), la poussière, etc... il était pas loin de tomber dans les vapes.
Les vertus du soda Nord-américain fait effet au bout de deux minutes seulement. Il retrouve le sourire, tous les autres passagers aussi, nous pouvons repartir.
"Are you a doctor???" me demandent les locaux.
J'éclate de rire.
Tout le monde va mieux, les locaux ont bien pris soin de Léon, nous pouvons repartir. Léon me remercie chaleureusement, et je lui ordonne de manger quelque chose au prochain arrêt, en lui tendant un paquet de biscuits.
A la pause suivante, il s'empiffre de tout ce qu'il peut trouver...
On continue notre route infernale.
Soudain, le bus cesse d'aller tout droit et bifurque sur la gauche pour atteindre le goudron... Victoire!
Léon et moi jubilons. Plus de dos d'âne, plus de poussière, ça nous redonne le sourire.
Le répit s'avère être de courte durée. Au bout de quelques kilomètres, le goudron cesse. De retour sur la piste, toujours aussi "plane", et la poussière redouble.
Je souris en me disant que le pire dans tout ça, c'est qu'au milieu de nulle part (vraiment!), le tarmac aura duré une dizaine de kilomètres maximum... Quelle idée?!?!
Bon, je la fais courte, quand à 17h, nous nous arrêtons dans un village. Benjamin et moi descendons pour se dégourdir les jambes, et manger un morceau.
Le chauffeur du bus nous dit qu'ils doivent changer une pièce, ça ne durera qu'une demie-heure...
La demie-heure va se transformer en presque 3 heures. Il fait nuit noire, tous les passagers sont en dehors du bus en attendant que le chauffeur et son mécanicien changent la pièce, avec ma frontale que je leur ai prêté puisqu'ils n'avaient aucune lampe de poche.
Benjamin commence à me dire qu'on aura 4 ou 5 heures de retard sur l'horaire prévu initialement d'arrivée à Nairobi.
Nous repartons (enfin) et nous allons avoir une pause à Isiolo, plusieurs kilomètres plus loin, puisque le chauffeur est fatigué, et en plus, la route de nuit est bannie au Kenya, particulièrement sur cette route chaotique sans aucun éclairage. Je ne peux qu'encourager cette décision, je commençais à flipper de cette conduite de nuit.
En fait, Isiolo se trouve beaucoup plus loin que ce que je ne l'imaginais. On arrive la-bas vers 1h du matin, et le chauffeur nous dit qu'on repartira vers 4h. 3h à attendre, après, ce n'est que du goudron jusqu'à Nairobi.
Je décide donc de rester avec Benjamin durant cette attente, pour partager une bière et discuter.
La seule opportunité pour boire une bière dans cette bourgade est un bar. Sombre, musique à fond, et visiblement rempli de kenyans bourrés. Je dis à Benjamin que je vais passer mon tour cette fois, je ne veux pas prendre de risques inutiles, surtout pour une bière...
[J'ai failli me battre deux fois dans un seul bar quelques jours auparavant, à Arba Minch en Éthiopie.
Une première fois parce qu'un mec a essayé de me voler mon portable, mais n'a pas réussi, le téléphone tombant par terre. Je me suis immédiatement précipité vers lui en lui hurlant que je n'étais pas stupide, j'avais senti sa main dans ma poche, lui me rétorquant qu'il était innocent... Voulant par la suite éviter le conflit, et ayant déjà enchaîné quelques bières, j'ai décidé de partir du bar.
En sortant, un mec bourré me crache au visage par derrière, le signe ultime de non-respect en Afrique. Je me suis retourné aussi sec: "est-ce que tu viens de ma cracher à la gueule?" Je n'ai même pas fini ma phrase qu'il me recrache au visage. C'en est trop, je me jette sur lui pour lui mettre un marron, moi qui ne me suis jamais battu de ma vie...
Heureusement, tous les locaux (j'étais le seul blanc dans le bar) se sont interposés pour nous séparer, en justifiant le fait qu'il ait trop bu, et de ne pas lui en vouloir... Le mec continue à me chercher, ça a duré 3 bonnes minutes avant que je m'en aille, en lui hurlant dessus que je ne lui ai pas manqué de respect, et qu'il n'avait pas à me cracher dessus... Bon j'étais un peu éméché, certes, mais quand même... Fin de l'épisode]
Donc, Benjamin et moi restons sages, et nous nous asseyons à côté du bus en buvant du thé.
Il m'apprend énormément de choses, notamment les raisons des conflits dans le Nord-Kenya que nous avons traversé le matin même. Il s'agit d'un problème lié à la nouvelle constitution datant de 2007. En effet, celle-ci donne désormais droit au peuple (comprendre groupe ethnique) majoritaire par le nombre de "régner" sur la circonscription entière. Auparavant, les ethnies étaient plus ou moins en paix suivant des zones qu'eux-même avaient définies. Des lors, une ethnie alors minoritaire par les zones devient majoritaire (démographiquement) sur une circonscription entière. Les autres ethnies s'allient alors entre elles pour devenir majoritaires, mais les Borondas (ethnie principale) ne l'entendant pas de cette manière, refusent et le conflit armé inter-ethnique débute alors...
Ce qui est le plus impressionnant et intriguant, c'est qu'à chaque fois que Benjamin prononce le mot "boronda", il le fait en murmurant, pour éviter d'être entendu, ne sachant pas de quelles tribus nos voisins sont originaires.
On discute beaucoup et c'est génial, j'apprends plein de choses de cet homme.
4h, il est temps de repartir (j'aurais fait le tour de l'horloge...), je m'assois à ma place, et le goudron me berce... Au bout de quelques kilomètres, je m'endors...
zZzZzZ...
Posté par fxlemaitre