TURONENSIS 2014

Notre hôte nous sert le petit déjeuner à 8h15, ce qui nous convient parfaitement puisque notre étape ne fera que 22 km. Le mari de notre hôte travaille dans l'informatique et nous découvrons que nous avons des relations en commun. Le monde est décidément petit.
Notre arrivée vers 14h00 à Amboise nous laisse le temps de découvrir le Clos Lucé, dernière demeure de Leonard de Vinci qui apporta la Joconde avec lui. Nous visitons le Château royal d'Ambroise qui fût la pouponnière des Valois et des Bourbon. C'est là que Charles VIII décède à 28 ans en heurtant de la tête un linteau de porte. JP invite Alain à la prudence quand il consultera son GPS en marchant. Finalement si les pieds trinquent sur Compostelle on ne peut pas négliger la tête.

Nous quittons Blois plein d'entrain. Il faut dire que nous partons psychologiquement 1 heure plus tôt avec le décalage horaire. Nous continuons à goûter la sérénité du bord de Loire, visiblement personne ne songe à se lever. Alain trouve des dizaines d'escargots qui relativisent notre lenteur.

Nous rencontrons un vieux papy encore plein de vitalité qui sarcle le bord de son jardin. Il nous demande où nous allons, Alain retourne son sac à dos et lui montre la coquille. " C'est quoi ce coquillage que vous avez trouvé ?" nous demande-t-il. Après une brève explication il nous souhaite bon voyage en attendant pour sa part midi et son repas du dimanche. L'essentiel pour chacun de nous n'est-t-il pas de vivre l'instant?

Hier soir, Brieuc et Dominique, avec la complicité de nos hôtes nous font la surprise de nous rejoindre de BUC pour fêter l’anniversaire d’Alain avec champagne et gâteau. Nous fêtons nos retrouvailles et l’évènement avec allégresse en compagnie de Suzanne et Jean-Yves nos hôtes à La Bouzie. Ils nous ont préparé un repas bien sympathique. Il se joignent à nous ce matin pour partager le petit déjeuner et nous apprécions leur générosité spontanée. Ils nous conduisent jusqu’à la Loire et nous cheminons avec nos amis jusqu’à Blois pour une petite étape de récupération.

Nous partageons ensemble la sérénité de la ville et terminons par la visite du château. Nous savons que le cœur d’Anne de Bretagne a pris le chemin du château de Blois depuis quinze jours. Nous partageons notre amitié autour de ce cœur qui, symboliquement est toujours vivant. Compostelle anime les liens du cœur de façon si spontanée.

Après un petit déjeuner 5* à Beaugency, nous nous dirigeons vers Suevres par le bord de Loire. Bien que 29 kms nous attendent, la route est bucolique sous le doux climat de Loire. Nous sommes attendu à la ferme paysanne de La bouzie où nous serons accueillis avec chaleur.

C'est une étape importante pour Alain. D'une part, c'est son septième jour de marche mais c'est surtout l'anniversaire de ses 63 ans. Nous immortalisons l'évènement sous les cheminées se la centrale de Saint-Laurent les eaux qui nous servirons de bougies.

Ce spectacle insolite nous ramène à la réalité du quotidien. Car s'il dépare la beauté du chemin, comment pourrions nous faire sécher notre linge...ou faire vivre ce blog !
Le chemin c'est d'abord celui de la vie... et des années qui passent.

Nous quittons Orléans par les bords de Loire calmes et reposants sous le soleil. Nous croisons de nombreux randonneurs d’un jour qui, admiratifs nous prodiguent leurs encouragements. Nous sommes plutôt embarrassés car nous n’avons encore rien prouvé. Il nous reste à être digne de cette confiance.

Notre émotion du jour est marquée par notre rencontre avec un artiste ébéniste que nous apercevons dans sa vitrine. Il nous invite au dialogue dans son échoppe. Mr ABERT est un artisan ébéniste d’exception qui sculpte les pièces telles qu’on les faisait au Moyen-âge. Il nous présente quelques œuvres destinées à de riches propriétaires fortunés du Moyen-Orient. Nous lui transmettons notre fierté de le voir maintenir ces traditions et d’être ce passeur du temps.

Nous quittons la chaleureuse chambre d’hote de mme Thomas. Si la température est encore fraiche, le soleil nous remplit d’énergie. Nous quittons sans regret la Beauce pour nous enfoncer dans la foret d’Orléans. Le hasard nous conduit droit vers un équipage de chasse à courre en attente du départ. Nous échangeons longuement avec un respect mutuel sur nos démarches respectives. Chacun d’entre nous perpétue à sa façon une tradition ancestrale. Nous faisons étape chez Catherine et Pascal qui nous réservent un accueil réparateur.

Avec ses 32 kms,l’étape s’annonce lourde. C’est sans compter avec la pluie fine et constante et une température de 5°C. Par ce temps, le grenier de la France n’est qu’une morte plaine sans obstacle à l’horizon pour vous protéger. « La terre est amoureuse ici », nous avait-on prévenu, et cet amour attachant est une véritable prison. Au bout de vingt pas sur un chemin de terre, nos chaussures pèsent des tonnes nous imposant de faire demi tour. Nous nous rabattons sur la D20 qui déroule son ruban interminable et son escorte de camions. Pour recompenser nos efforts, notre hote, Mme Thomas nous sert un plat gastronomique local.

Nous faisons tamponner notre crédanciale à Bouville par une employée de mairie fort aimable. Nous passons dans la campagne vers Boissy la rivière à travers la Beauce et ses immensités .. On est seuls avec les lapins les lièvres et les perdrix, rien à l’horizon. silence le colza et le blé poussent... Nous évoquons la mutation du monde agricole. Après guerre on ne trouvait pas de pain. Il en sera de même aujourd’hui : nous avons oublié que nous sommes lundi et que toutes les boulangeries sont fermées. Tout est fermé comme si les habitants avaient fui la peste... nous mangeons des barres de céréale de secours. La fin du parcours est pénible, arrivé, péniblement, à Mereville , on s’aperçoit que le gite est à 3km en arrière... ces 3 km vont être très pénibles. Le gite est très grand mais pas possible de manger, là encore on mange des pâtes japonaises emportées en secours et Jean Pierre cuisine un sachet de purée trouvé dans l’armoire..la recette parle de lait, ce sera de l’eau

Françoise va nous accompagner pour les premiers Kilomètres. Départ 8h45. L’itinéraire emprunte les routes, en ville et dans des zones industrielles au début, la fin est très sympa à travers bois. Et nous sommes bénis des dieux : c’est dimanche, jour de vote et le trafic est très réduit. Toute la journée de lourds nuages noirs nous poursuivent sans s’abattre sur nous alors qu’une auréole lumineuse nous guide. La grêle s’abattra après notre arrivée chez Mr et Mme Davoine. Le repas du soir non prévu s’avère très copieux. Nous sommes chez des gens remarquables, on a beaucoup discuté. Bilan de la journée très positif, on a reçu des encouragements sur la route de plusieurs personnes, une ampoule pour Alain et des douleurs aux pieds (26km hier, 27 aujourd’hui) autre bonne nouvelle, Myriam est au anges, la liste pour la mairie où elle figure a été élue au premier tour.

Départ 8H30 par une pluie fine, 7°C de température, avec Myriam pour le 1er Kilomètre. Le sac est bien lourd à cette heure là. Après un dernier bisou, Myriam fait demi-tour, je me retourne deux fois en la voyant s’éloigner.... C’est la première fois que nous nous séparons pour plus de deux semaines.. Séquence émotion... Au bout d’une heure, le sac est moins lourd, le genou est moins douloureux, les villes défilent : Jouy en Josas, Bièvres, Igny, Massy, Palaiseau. Là je rencontre dans la rue déserte sur un vélo des années 60, David Brochard ex DiBcom et Simpulse très surpris de me voir. Ensuite Longjumeau, je passe devant e Conseil de Prud’hommes... là où on a défendu notre cause après la rupture avec DiBcom. ...après Gravigny le soleil fait de courtes apparitions...déjeuner sur l’herbe (sandwich banane).. Ensuite Epinay sur Orge...parcours sympa le long de l’orge .... Château de Morsang et arrivée chez Françoise et Jean Pierre... il est 13H50. Tout va bien pour l’instant.

Le chemin garde en contact avec la réalité. Lors d’une marche test près de Bondoufle, nous rencontrons un cortège des employés d’une entreprise qui nous confronte à la dure réalité de la vie.
Si nous souffrons en marchant, nous rencontrons aussi la vraie souffrance dans la rue, celle d’une France qui a peur de perdre son emploi et qui marche pour défendre son gagne pain.
Chaque marche porte avec elle son propre sens...

On commence a se remettre en forme, à tester ses limites. Nous arrivons à la conviction qu’il nous faut maintenir un régime de 25 à 30 kms maximum par jour. Jean-Pierre décide de s’équiper d’un GPS de randonnée. Cela peut paraitre un luxe, et pourtant, il nous fait découvrir des chemins de randonnées à deux pas de chez nous, et des pépites si bien protégées. La technologie a finalement quelques vertus...
Nous essaierons de nourrir ce blog régulièrement avec les photos du voyage et des récits que vous pourrez suivre avec un ou deux jours de retard.

Depuis un an que cette idée nous trotte dans la tête et 3 mois que la décision a été prise avec une date de départ (22 mars de Buc pour moi et 23 mars pour Jean Pierre), on commence à y penser un peu plus souvent. Le paquetage prend forme avec l'obsession du poids de 10Kg à ne pas dépasser. Il faut étudier le pour et le contre de prendre ou ne pas prendre.... chaque élément.....une paire de chaussure de secours, une deuxième polaire, des médicaments. Quels plaisirs veut-on emporter ou quelles douleurs voulons nous contourner ?
A la maison il faut préparer notre absence avec les démarches administratives qui nous incombaient qu'il faut transférer à nos épouses ainsi que le fonctionnement de la maison: eau, électricité etc. Nous ne serons en fait jamais bien loin, nous emportons tout de même nos téléphone portables....smartphones modernes... qui ne seront en mode réception qu'à notre arrivée à l'étape en milieu d'après midi. Les étapes que nous prévoyons sont de 25 à 30kms par jour que nous effectuerons le matin dans la mesure du possible.
L'entrainement physique nous parait au point. Nous savons que l'enchainement des marches nous fera souffrir pendant la première quinzaine. Nous avons apporté une attention toute particulière au choix de nos chaussures.... les pieds c'est le plus important

Alain et Jean-Pierre sont en semi retraite depuis 2 ans, mais ils sont restés des adeptes de l’effort. Ils se sont confrontés à quelques épreuves communes et de longues promenades en montagne. Le dernier trek au Matchu Pitchu a fait germer l’idée d’une longue marche pour marquer 40 ans d’amitiés dans un effort partagé. Cette nouvelle épreuve renforcera t’elle les liens du temps ?

Cette fois , c’est décidé, nous allons partir pour Compostelle depuis notre foyer. Sans trop y réfléchir, la Via Turonensis (Le passage par TOURS) s’est imposée comme l’itinéraire naturel. Il part de Paris, passe chez nous et débouche sur le camino frances à St Jean-Pied de Port. C’était déjà le chemin naturel des pèlerins du Nord Ouest ( Pays-bas, Danemark, Belgique) et des Bretons.
Sans être une traversée du désert, il nous faut prévoir 40 jours de pénitence pour franchir à raison de 25 kms quotidien les mille premiers kilomètres de notre circuit. Peut-être alors continuerons nous sur le Camino francès.
Nous partirons le lendemain du printemps, au moment ou la nature s’éveille, les jours se rallongent et la température est encore fraiche. Nous espérons être peu nombreux sur les routes pour éviter l’encombrement des hébergements et profiter pleinement de la sérénité du chemin.

Lors de nos voyages en Inde, nous étions admiratifs de tous ces pèlerins qui défilaient déguenillés en grappe en destination de Bénarès ou d’autres sites vénérés. Ces défilés interminables le long des routes nous subjuguaient sans que nous en comprenions réellement le sens.
Et pourtant, on a tous envie de donner du sens à sa vie. Car marcher, c’est rester en action, se sentir exister. Il nous semblait évident qu’au terme de notre vie professionnelle il nous fasse encore faire tourner la machine, dans un acte gratuit, sans rien attendre en retour .
Les chemins mythiques de Compostelle s’imposent non pas pour des raisons typiquement religieuses en ce qui nous concerne, mais pour son coté organisé, hébergements, sentiers et foulés depuis des siècles par une foule anonyme.
Mais nous espérons aussi que le chemin nous imprègnera de sa densité spirituelle et nous aidera à nous préparer à nous dépouiller de tout le superflu...