Le village Hanok de Bukchon à Séoul, connu pour son charme historique et ses maisons traditionnelles coréennes, se prépare à instaurer un couvre-feu afin de lutter contre le surtourisme. Cette mesure, qui entrera en vigueur en mars prochain après une période de test en novembre, suscite des réactions partagées parmi les habitants, les touristes, et les commerçants. Face à l’invasion touristique, les résidents espèrent retrouver leur tranquillité, tandis que certains craignent que cette initiative ne ternisse l’image de la Corée du Sud. Pourquoi ce couvre-feu est-il devenu nécessaire et quelles sont les attentes et craintes qu’il suscite ?
Un patrimoine prisé mais saturé par le tourisme
Bukchon, niché dans les collines du nord de Séoul, est une destination très prisée, surtout depuis qu’une émission télévisée a mis en lumière ses ruelles pittoresques et ses maisons traditionnelles datant de la dynastie Joseon (1392-1897). Chaque année, des millions de visiteurs, souvent habillés en hanbok, affluent dans ces ruelles étroites pour découvrir ces joyaux architecturaux.
Cependant, cette popularité a transformé la vie quotidienne des habitants en un véritable défi. Le quartier a vu défiler 6 millions de visiteurs en 2023 pour une population locale d’à peine 6 100 personnes. En raison du bruit, des déchets et du non-respect de l’intimité, de nombreux résidents ont déménagé, entraînant une baisse de 27,6 % de la population en dix ans.
Une mesure pour protéger la vie des habitants
Le couvre-feu, qui restreindra l’accès touristique de 17 heures à 10 heures le lendemain, vise à atténuer ces nuisances. Les visiteurs surpris à flâner dans la zone après l’heure limite pourront se voir infliger une amende de 100 000 wons (environ 72 dollars). Le chef du district de Jongno, Chung Moon-hun, a souligné que cette mesure est avant tout conçue pour protéger les droits des résidents et pourrait être ajustée selon les retours reçus.
Cependant, les habitants doutent de l’efficacité de ce couvre-feu. Bien que certaines zones soient désormais interdites d’accès, les touristes séjournant dans des hébergements hanok pourront toujours circuler librement, posant la question de la réelle portée des restrictions.
La prolifération des hébergements touristiques : un facteur aggravant
L’un des principaux griefs des habitants concerne la multiplication des hanok transformés en hébergements touristiques. Le nombre de maisons traditionnelles enregistrées pour cette activité est passé de 10 en 2010 à 116 en octobre 2024. Cette explosion résulte en partie des efforts des propriétaires en difficulté, qui préfèrent céder leurs biens à des entreprises d’hôtellerie. Ces dernières gèrent désormais une grande partie des logements disponibles, ce qui perturbe encore davantage la vie des résidents.
Kim Eun-mee, une habitante de Bukchon, se plaint de devoir ramasser des détritus plusieurs fois par jour en raison des touristes. Les fêtes nocturnes organisées dans ces hébergements provoquent également des nuisances sonores, l’empêchant de maintenir une routine normale. Des valises traînées dans les rues à l’aube viennent encore troubler le quotidien de nombreux résidents.
Une politique controversée et des avis partagés
La mise en place du couvre-feu soulève aussi des questions pratiques. Comment les autorités feront-elles pour identifier les touristes, appliquer les amendes ou surmonter la barrière linguistique avec les visiteurs étrangers ? Pour certains touristes, cette mesure est perçue comme une nécessaire protection du bien-être des résidents. D’autres la considèrent comme une contrainte excessive, notamment ceux qui redoutent de recevoir des amendes pour avoir simplement déambulé dans les rues.
Lee Dong-woo, PDG de la plateforme BUTLER.LEE, justifie l’essor des hébergements touristiques en expliquant que de nombreux propriétaires préfèrent confier la gestion de leurs biens à des entreprises pour éviter les frais d’entretien élevés. Il réfute cependant les accusations selon lesquelles les entreprises hôtelières chercheraient activement à chasser les résidents locaux.
Le village Hanok de Bukchon est confronté à un dilemme entre préserver son patrimoine culturel et maintenir une qualité de vie acceptable pour ses habitants. Si le couvre-feu est censé offrir une solution aux désagréments liés au tourisme de masse, son application soulève de nombreuses interrogations. L’équilibre entre tourisme et respect des résidents reste fragile, et seul le temps dira si cette mesure permettra à Bukchon de concilier son rôle de site touristique emblématique et celui de quartier vivant.